lundi 7 mai 2012

PROPHÈTES ET PHILOSOPHES 7. LA GESTE QUASI-PHILOSOPHIQUE DES PROPHÈTES HÉBREUX

 Exégèse et philosophie: une raison narrative et sociale
1. J'aurais bien aimé, lecteur, vous avoir fait partager le sen­timent de comment ce nouveau paradigme exégétique est sa­tisfai­sant pour la compréhension de la Bible hébraïque. Même en m'at­tendant à beaucoup de réticences de la part des exégètes et des spécialistes face à ce texte d'amateur, je voudrais exprimer la re­connaissance profonde que j'éprouve par rapport au travail de ces grands rénovateurs. Peut-être que ce qui suit me vaudra, au­près d'eux, une certaine excuse pour mon audace, car celle-ci se prolon­gera dans une autre direction, en essayant de suggérer quelques traits importants de l'écriture prophétique comme tra­vail quasi-philosophique, c’est-à-dire, en comparaison avec l'écri­ture philoso­phique des Grecs.
2. Mais cela me vaudra, pour sûr, le malaise des philosophes à leur tour, car je ne suis pas non plus un 'vrai' philo­so­phe, toujours un peu amateur, un essayiste. C’est-à-dire que des vrais philosophes auront aussi, c'est mon espoir profond, du pain sur la planche dans ce champ de croisement entre les deux discipli­nes. Ce qu'il faudrait un jour, en effet, ce serait une déconstruction de cette Bible hébraïque à la manière de Derrida: ce qui demande, encore une fois, la connaissance de l'hébreu, mais aussi une force de pensée que je n'ai pas. Mais pour le lecteur commun, mon ignorance sera peut-être une chance: ce qui va suivre lui sera plus lisible, j'espère.
3. La Bible hébraïque - et il s'agira toujours ici, sous ce nom, des 11 premiers livres de cette Bible - n'est pas de la philosophie, c'est bien clair, et on le précisera mieux au début du prochain chapi­tre. J'utiliserai le terme 'raison', ou 'quasi-raison', dans deux sens. D'une part, comme je l'ai déjà fait pour la rédaction sacerdo­tale, il s'agit d'une raison narrative et historique (6. 40): celle de la com­position, à partir de beaucoup de petits récits, de ce long récit en tant qu’un récit, celui de l’ 'histoire continue des origines et d'Is­raël', cette composition se faisant comme 'démy­thologi­sation' des traditions mythiques antérieures d'Israël, comme 'cri­tique' de la conception clôture-sanctuaire de la bénédiction. D'autre part, c'est la loi elle-même, en tant que narrativisée dans ce long récit, qui est l'émergence, en Israël, d'un logos, d'une rai­son sociale destinée à réformer et réorganiser la société, la mai­son d'Is­raël.
4. En parlant de raison narrative, je pense donc à la composition d'un seul grand récit fait à partir de quantité de petits récits, au­to­nomes entre eux au départ et mis ensemble de façon à ce que, d'une part, les divers motifs s'enchaînent les uns sur les au­tres et, d'autre part, il y ait une vraisemblance narrative et historique[1]. À lire l'ensemble, on pourrait presque dire que, à partir du châtiment d'Adam-Ève et du déluge, une quelconque catastro­phe comme celle de Babylone devenait prévisible, peut-être inévi­table. D'une façon très générale, on peut dire que la structure qui rend cette unité au récit, sa ‘raison’, c'est celle du don-promesse de Yahvé, de son échec et de sa re­prise dans un autre hori­zon; celui-ci se res­treint pro­gres­sivement, de l'Univers-humanité à un peuple parti­culier en vue de sa béné­diction - promesse-alliance/Loi/double accomplissement: celui du don du peuple-descen­dance à Abra­ham, celui du don du pays-auto­nomie à Israël-Moïse - et s'élargit à nouveau, de façon es­chatologi­que, à l'Univers-hu­manité de toutes les Nations à la suite de l'échec de la monarchie. De l'ar­ché à l'eschaton: c'est cela que la tradition a appelé ‘histoi­re’ en Occi­dent, elle est mo­no­théiste[2].
5. Cette raison narrative et historique serait ainsi une quasi-raison à l'égard de la raison philosophique. Celle-ci explicite ses questions et ses réponses, certes, pas celle-là, mais ce n'est pas sans avantage pour le récit, celui d'être accessible à n'importe quel lec­teur, ce qui n'est pas vrai des textes philosophiques spé­cialisés[3]. Les réponses que ce récit donne, voire ses questions, ce ne sont plus les nôtres. Au contraire, nos ques­tions / réponses se sont dévelop­pées contre ces ques­tions / réponses bibliques: par exemple, l'uni­vers n'a pas été créé en 7 jours, il a pris quelques 13 milliards d'an­nées. Le même type d'objections, mutatis mutandis, peut d'ail­leurs être aussi fait à la philosophie de Platon et d'Aristote. Cepen­dant nous savons que, sans ces deux là (dans un 'avec eux' qui a aussi la forme d'un 'contre eux'), nous ne poserions pas nos ques­tions / réponses à nous. Eh bien, ce n'est pas vrai que des seuls Grecs, mais aussi des Hébreux, et ce que je suis en train de proposer ici, c'est que ce nou­veau paradigme exé­gétique permet de renouveler cette question.

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