1.
J'aurais bien aimé, lecteur, vous avoir fait partager le sentiment de comment ce nouveau paradigme
exégétique est satisfaisant pour la compréhension de la Bible
hébraïque. Même en m'attendant à
beaucoup de réticences de la part des exégètes et des spécialistes face à ce
texte d'amateur, je voudrais exprimer la reconnaissance profonde que j'éprouve par
rapport au travail de ces grands rénovateurs. Peut-être que ce qui suit me
vaudra, auprès d'eux, une
certaine excuse pour mon audace, car celle-ci se prolongera dans une autre direction, en essayant de
suggérer quelques traits importants de l'écriture prophétique comme travail quasi-philosophique, c’est-à-dire, en
comparaison avec l'écriture philosophique des Grecs.
2.
Mais cela me vaudra, pour sûr, le malaise des philosophes à leur tour, car je
ne suis pas non plus un 'vrai' philosophe, toujours un peu amateur, un essayiste.
C’est-à-dire que des vrais philosophes auront aussi, c'est mon espoir profond,
du pain sur la planche dans ce champ de croisement entre les deux disciplines. Ce qu'il faudrait un jour, en effet, ce
serait une déconstruction de cette Bible hébraïque à la manière de Derrida: ce
qui demande, encore une fois, la connaissance de l'hébreu, mais aussi une force
de pensée que je n'ai pas. Mais pour le lecteur commun, mon ignorance sera
peut-être une chance: ce qui va suivre lui sera plus lisible, j'espère.
3.
La Bible hébraïque - et il s'agira toujours ici, sous ce nom, des 11 premiers
livres de cette Bible - n'est pas de la philosophie, c'est bien clair, et on le
précisera mieux au début du prochain chapitre. J'utiliserai le terme 'raison', ou
'quasi-raison', dans deux sens. D'une part, comme je l'ai déjà fait pour la
rédaction sacerdotale, il
s'agit d'une raison narrative et historique (6. 40): celle de la composition, à partir de beaucoup de petits récits,
de ce long récit en tant qu’un récit, celui de l’ 'histoire continue
des origines et d'Israël', cette
composition se faisant comme 'démythologisation' des traditions mythiques antérieures
d'Israël, comme 'critique' de la
conception clôture-sanctuaire de la bénédiction. D'autre part, c'est la loi
elle-même, en tant que narrativisée dans ce long récit, qui est l'émergence, en
Israël, d'un logos, d'une raison sociale destinée à réformer et réorganiser
la société, la maison d'Israël.
4.
En parlant de raison narrative, je pense donc à la composition d'un seul grand
récit fait à partir de quantité de petits récits, autonomes entre
eux au départ et mis ensemble de façon à ce que, d'une part, les divers motifs s'enchaînent
les uns sur les autres et, d'autre part, il y ait une
vraisemblance narrative et historique[1]. À lire
l'ensemble, on pourrait presque dire que, à partir du châtiment d'Adam-Ève et
du déluge, une quelconque catastrophe comme
celle de Babylone devenait prévisible, peut-être inévitable. D'une façon très générale, on peut dire
que la structure qui rend cette unité au récit, sa ‘raison’, c'est celle du
don-promesse de Yahvé, de son échec et de sa reprise dans un autre horizon; celui-ci se restreint progressivement,
de l'Univers-humanité à un peuple particulier
en vue de sa bénédiction -
promesse-alliance/Loi/double accomplissement: celui du don du peuple-descendance à Abraham, celui du don du pays-autonomie à Israël-Moïse - et s'élargit à nouveau,
de façon eschatologique, à l'Univers-humanité de toutes les Nations à la suite de
l'échec de la monarchie. De l'arché à l'eschaton: c'est cela que la tradition a appelé ‘histoire’ en Occident, elle est monothéiste[2].
5.
Cette raison narrative et historique serait ainsi une quasi-raison à l'égard de
la raison philosophique. Celle-ci explicite ses questions et ses réponses,
certes, pas celle-là, mais ce n'est pas sans avantage pour le récit, celui
d'être accessible à n'importe quel lecteur,
ce qui n'est pas vrai des textes philosophiques spécialisés[3]. Les réponses
que ce récit donne, voire ses questions, ce ne sont plus les nôtres. Au
contraire, nos questions / réponses
se sont développées contre
ces questions / réponses
bibliques: par exemple, l'univers n'a pas
été créé en 7 jours, il a pris quelques 13 milliards d'années. Le même type d'objections, mutatis
mutandis, peut d'ailleurs être
aussi fait à la philosophie de Platon et d'Aristote. Cependant nous savons que, sans ces deux là (dans un 'avec
eux' qui a aussi la forme d'un 'contre eux'), nous ne poserions pas nos questions / réponses à nous. Eh bien, ce n'est pas
vrai que des seuls Grecs, mais aussi des Hébreux, et ce que je suis en train de
proposer ici, c'est que ce nouveau paradigme
exégétique permet de
renouveler cette question.
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