Critères ‘formels’ de découpage des séquences suivantes, par la répétition de certains indices, dont il faudra ensuite confirmer la validité, par l’analyse, en termes de codes séquentiels, de chacune de ces unités textuelles.
Puisque le texte est une lettre - de ‘nous’ à ‘vous’, identifiés par le titre (seq. 1) -, on peut poser que la citation répétée (13 fois) des destinataires par le vocatif frères (adelphoi) est un bon indice de découpage à partir de 1,4, comme si l’écriture y repren¬nait son souffle en relançant ses destinataires. On trouve ainsi 13 séquences que l’on numérote de 4 à 17. La seule ex¬ception est celle de la petite séquence 11 (4,9-12), où le vocatif ne vient pas au tout début, mais au second verset. Il faut faire attention à la façon dont la séquence 13 a combiné le vocatif avec le syntagme “vous n'avez pas be¬soin, frères, qu'on vous en écrive”, qui se trouve aussi au début de cette séquence, permet¬tant de com¬prendre que le vocatif, son corrélat, venait un peu plus loin par des raisons littéraires, l’unité de la petite séquence, à confirmer certes, étant semble-t-il assez évidente.
Restent les deux séquences, sans ce vocatif, qui suivent celle du titre. La séquence (2a) est très courte, (la première) manifestation du nous-vous structurel: “grâce à vous et paix”, le nous étant implicite, dans la liaison grammaticale avec le titre précédent. Mais elle se répètera deux fois: la première (2b), en “paix”, marque la fin de la lettre en tant que destinée à tous les frères, après la séq. 15 (qui leur demande de la reconnaissance envers leurs ‘inspecteurs’), la deuxième (2c), en “grâce”, marque la fin de la lettre tout court.
La séquence (3) sera reprise à la fin de la sé¬quence (6) et de (7), en faisant donc de (3)-(7) une grande sé¬quence (I), dont le final introduit un acteur collectif “les Juifs”, acteur de persécutions concernant les destinataires.
En conséquence, les séquences (8) à (9) racontent l’envoi d’un des destinateurs, Timothée, et son re¬tour rassurant, ce qui aboutit à une nouvelle répétition de (3) au début de (9), en fai¬sant donc une grande séquence (II).
La séquence (10) commence par un “au reste” qui change très nettement la lettre qui devient un répertoire d’exhortations de “nous” à “vous” qui aboutit à la séquence (15), avant (2b), en faisant donc une grande séquence (III). Les séquences (16) et (17) ont comme destinataires “vous”, non pas l’ensemble des “frères”, comme jusque là, mais seulement ceux qui y sont “placés devant” en tant que vigilants, disons; ce sera la dernière grande séquence (IV) avant (2c).
Plus que chaque petite unité, ce seront ces quatre grandes unités qui feront l’objet de notre lecture sémiotique, tâchant de restituer la ‘structure’ du domaine (une assemblée, église) dont s’occupe la lettre.
Paul et Silvain et Timothée, à l'Assemblée des Thessaloniciens en Dieu Père et Seigneur Jésus Messie
S1. Il s’agit du titre de la lettre, dont les mots les plus fréquents sont probablement ‘nous’ et ‘vous’: le titre éclaire ces deux pronoms personnels, le premier concernant les destinateurs de la lettre, ses auteurs, le second ses destinataires. “Nous, Paul et Silvain et Timothée, à vous, l'Assemblée des Thessaloniciens en Dieu...”. En termes de Benveniste, ce titre fait partie de la deixis de l’écrit et devait être traditionnel dans l’Antiquité, à cette époque. On le retrouve en tout cas, sobre ou avec de l’ornamenta¬tion, dans les autres lettres de Paul et du Nouveau Testament.
S2. Mais aucun des pronoms se restreint à cette configura¬tion. Le ‘nous’ devient pluriel majestatique en 3,1, où l’auteur reste seul par l’envoi de Thimothée (de Silvain on ne saura plus rien), 2,18 confirmant par l’ajout “du moins moi Paul” la pluralité du ‘nous’ comme sa règle. Le ‘je’ de Paul se manifestera à nou¬veau (3,5 et 5,27), soulignant sa main ou sa dictée comme auteur. D’autre part, à certains moments le ‘nous’ addictionne le ‘nous’ et le ‘vous’ dans un ‘nous’ de croyants “devant le Dieu et notre Père” et le “Seigneur à nous Jésus Messie” (1,3). En bref, ‘nous’ dit d’habitude les trois noms propres du titre, mais oscille parfois vers le ‘je’ de Paul ou bien vers le ‘nous’ général. Quant au ‘vous’, il regarde pendant toute la lettre l’ensemble des destinataires, ce n’est que dans la séquence (IV) qu’il s’adresse exclusivement à ceux qui sont “placés devant dans le Seigneur”, aux dirigeants de l’assemblée, les ‘vrais’ destinataires de la lettre, puisque il est question d’une adjuration “par le Seigneur” à “que cette lettre soit lue à tous les frères”. Cette oscillation marque une certaine diffé¬rence entre les frères de l’assemblée.
P3. “Thessaloniciens” est la seule indication du lieu des destinataires, Thessalonique étant le nom d’une ville, terme du code géographique de l’époque, dont on retrouvera aussi Philippes (2,2) et Athènes (3,1), lieu où la lettre est en en train d’être écrite. Les autres termes de ce code concernent des régions: Macédoine (où Thessalonique et Philippes) et Achaïe (où Athènes) (1,7-8, 4,10), et encore, sans aucune mention de villes, Judée (2,14).
P4. Il se trouve que ces mentions géographiques éclairent un autre code, concernant Juifs (2,14-16) et Peuples païens (2,16, 4,4), deux termes desquels le ‘nous-vous’ épistolaire est contrasté. Comment l’appeler? Ce n’est pas un code ethnologique, sans plus, car le terme ‘païens’, recouvrant plusieurs peuples et langues différents, appartient au code juif, où il est opposé à ‘Juifs’, en raison donc de différences de croyance. Mais d’autre part, cette différence est, chez les Juifs, aussi une différence ethnologique concernant la parenté et la naissance. Il s’agit, en somme, d’un code ethnologique juif. Ce qui est remarquable, c’est que ni le ‘nous’ ni le ‘vous’ sont susceptibles de se marquer dans ce code, malgré que chacun soit né juif ou païen. Mieux dit, la lettre réélabore le code juif en deux termes exclusifs par l’ajout d’un troisième, aussi exclusif, et pas nommé, une seule fois, autrement que par ‘croyants’ (1,7), qui ont reçu une “élection” de Dieu, choisis parmi Juifs et Païens pour devenir autre chose. L’intérêt de ce code est qu’il rend possible, sem¬ble-t-il, une première approche du ‘nous’ général: il s’agit d’une assemblée (ekklêsia) de croyants, le terme ‘assemblée’ (au lieu d’église, très marqué par la suite) permettant de préciser qu’il s’agit de gens qui se rassemblent périodiquement par une foi commune (à la façon dont on parle souvent de sectes).
S5. C’est cette foi commune qui est dite par la suite du titre: assemblée en Dieu Père et Seigneur Jésus Messie. C’est cette pré¬position qui permet et cache l’approche de cette assemblée: que signifie-t-elle? Là encore c’est une terminologie juive (les païens ne connaissent pas Dieu, 4,4) mais altérée, puisque dédoublée (ce qui semble aller contre le strict monothéisme juif), à Dieu Père étant ajouté un nom d’humain, Jésus, dit Messie (Christ en grec), catégorie juive, et Seigneur, titre qui ne revient qu’à Dieu dans la Bible juive. Plus loin, il sera dit “son Fils” (1,10). Appelons ce code messianique (ou bi-théologique?), dont Dieu et Jésus Messie sont les acteurs, avec Satan (2,18), le tentateur (3,5). Remarquons que c’est ce Dieu Père justifie les ‘frères’ du ‘nous’ généralisé.
grâce à vous et paix !
P6. Le mot ‘grâce’ (charis) dit ce qui plaît, a du charme, pa¬rent sémantique de ‘chara’ (joie) (1,6, 2,19-20, 3,9), mais ce charme est la faveur bienveillante d’un seigneur qui fait munificence à qui en a besoin, lequel, en reconnaissance, ‘lui rend grâces’. Ici, il a un rôle structurel, ne venant que deux fois, au début et à la fin, où elle est précisée, comme pas au début, être celle “du Seigneur à nous Jésus Messie”. Mais à trois reprises, et de façon aussi structurelle quant au découpage en séquences, on rend grâces (eu-charis-toumen, littéralement nous biengratifions), toujours au seul Dieu, jamais à Jésus. On prend acte que la ‘joie’ de 1,6 est contrastée avec des ‘tribulations’, qui reviendront quelques fois, pour préciser le code: grâce, joie / tribulations, persécutions, souffrances. Le code de la ‘paix’, en principe opposée à guerre, est moins pacifique du point de vue de l’analyse, puisque, en plus du structurel 5,13, il vient en 5,3 avec un accent négatif (paix et sécurité, suivies de ruine) et est attribué au Dieu en 5,23, en plus de la métaphore guerrière des armes en 5,8. Il faudra y revenir.
S7. On s’occupera de la petite séquence en fin de lecture.
Nous rendons toujours grâces au Dieu en mémoire de vous tous, en faisant nos prières, nous mémorisant sans cesse devant le Dieu et notre Père l'œuvre de votre foi, le labeur de votre amour et la persistance de votre espérance du Seigneur à nous Jésus Messie.
P8. Foi, amour et espérance: triade devenue célèbre, que l’on retrouvera en 5,8 . La foi est une seule fois dite “en Dieu” (1,8), les autres occurrences signalent que la foi des ‘frères’ n’est pas assurée, doit être affermie et exhortée (3,2), restaurée (3,10), provoque ‘nécessité’ et des ‘tribulations’ au ‘nous’ qui écrit (3,7), que leur labeur antérieur ne soit pas ‘vide’ (3,5), heureusement qu’elle tient selon Timothée (3,6), doit enfin endurer une cuirasse (5,8). En bref, elle est menacée. L’amour (agápê) dit autant l’amour de Dieu (1,4), que celui du ‘nous’ redacteur (2,8) pour les frères de Thessalonique, et surtout l’amor entre frères qui doit toujours s’excéder (3,12, 4,9-10) et concerner aussi les frères dirigeants (5,13). Deux fois il vient ensemble avec ‘foi’, l’une comme bonne nouvelle rapportée par Timothée (3,6), l’autre comme cuirasse (5,8), ce qui semble impliquer qu’il soit aussi menacé. L’espérance est moins fréquente et concerne toujours la venue de Jésus Messie (1,4, 4,13, 5,8), la dernière citation ayant aussi une métaphore militaire, celle du casque; leur persévérance est l’espérance du ‘nous’ rédacteur (2,19), supposé lors de l’avènement du Messie. Les corrélatifs ‘œuvre’, ‘labeur’ et ‘persistance’ ici sou¬lignent donc que ces trois, comment les appeler?, composantes de l’éthique messianique, disons, sont à lire dans l’oscillation entre la grâce-joie et les tribulations (P6).
S9. Le motif de la mémoire, repris deux fois et puis en 3,6, renvoie à un récit passé, celui de l’ ‘arriver’ de ‘nous’ en Thessalonique et du ‘devenir’ de ‘vous’ (1,5-7) . C’est donc le récit qui a rendu possible cette lettre, celui de l’annonce de “notre évangile” et de sa réception, “convertis’ des idoles à Dieu”: vous êtes deve¬nus mes imitateurs et (comme moi) du Seigneur, et ensuite “modèle” à l’imitation des autres croyants de Macédoine et Achaïe. Le rappel de ce récit, disons de l’évangélisation, occupe 1,4 à 2,13-14 qui reprend et le “rendre grâces” initial (13) et le “devenus imitateurs” (14), cette fois-ci des “assemblées du Dieu et en Jésus Messie” en Judée, seule référence à l’origine de ce mou¬vement messianique. La longue reprise de ce récit s’accorde toute fois à un autre récit, qui y a une place décisive, un récit disons messianique, concernant les acteurs de ce code, le Dieu et le Seigneur Jésus Messie: “vous vous êtes convertis à Dieu, en laissant les idoles pour servir Dieu vivant et vrai, et pour attendre des cieux son Fils, qu'il a éveillé des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère à venir” (1,9-10), au sommet de la première évocation du récit de l’évangélisation. Récit à deux temps, l’un concernant le passé - “que Jésus est mort et qu'il est relevé” (4,14) - et l’autre l’avenir, son “avènement” (parousia) (2,19, 3,13, 4,15, 5,23) ou retour.
S10. Regardons les diverses citations de ce récit messianique. Dans la première (1,10), on n’y men¬tionne pas la mort de Jésus, que l’éveil des morts et son retour à venir. En 2,14, on dit que “les Juifs” “l’ont fait mourir”, sans autre référence (ce que le contexte explique). 4,14, que l’on vient de citer, est le seul qui cite les deux moments du récit passé, la mort et le re¬lever, ceci dans le contexte d’une argumentation sur la question du retour, puisque 5,9-10 ne parle pas de l’éveil des morts: “Jésus Messie, qui est mort pour nous, afin que - soit que éveillés [encore vivants], soit que dormants [déjà morts], - nous vivons ensemble avec lui”. L’ajout “mort pour nous” va au-delà du strict narratif, qui, en tant que tel, ne contient que les deux moments, mort et se lever des morts, d’une part, parousie, d’autre part: il s’agirait, disons, de son interprétation théologique (que rien dans la lettre ne me semble éclairer, il faudra attendre d’autres lettres).
S11. Ses deux récits sont articulés l’un à l’autre. D’une part, le récit de l’évangélisation des Thessaloniciens par ‘nous’ dépend du messianique, qui y est proclamé comme “la parole du Seig¬neur” qui “(non seulement) a retenti de chez vous dans Macédoine et dans l’Achaïe” (1,8), mais il le suit en une sorte de parallèle, le “non seulement” se continuant par un “mais”: non seulement la parole du Seigneur a retenti [...] dans Macédoine et dans l’Achaïe, mais votre foi en le Dieu s’est répandue en tout lieu”, en écho au verset précédent qui disait que ‘vous’ étaient “devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et Achaïe” (1,7). Et la suite, “il n’est plus besoin d’en parler, on raconte notre accès auprès de vous” et votre conversion (1,9). D’autre part, il se raccorde au récit de la parousie, la première fois où il en est question, c’est pour dire: “qui est, en effet, notre espérance, ou notre joie ou notre cou¬ronne de gloire, si ce n'est-ce vous? devant le Seigneur à nous Jésus, lors de son avènement?” (2,19). Ce sont les résultats, si l’on peut dire, du récit paulinien qui deviennent leur espérance, joie, gloire, tous des termes de connotation du récit à venir. Les autres références vont dans le même sens: le récit du labeur et les fatigues de Paul et de ses deux com¬pagnons se raccorde avec ce deuxième temps du récit messianique, objet d’espérance, on l’a vu (P8), de même qu’il a pris son élan dans son premier temps .
S12. La séquence (5) reprend ce récit pour en détailler les conditions. D’abord les souffrances et outrages (code grâce / tribulations, P6) à Philippes. Ensuite la caractérisation de leur façon d’ “annoncer l’Évangile de Dieu”, en plus des combats (tribulations), introduit un code alternant ce qui relève des humains et ce qui relève de Dieu: confiance en Dieu (comme déjà en 1,5, “en puissance et en le souffle saint” et “assurance” s’ajoutaient aux seules paroles), épreuves pour se trouver digne de l’Évangile, ne pas être à votre charge, douceur comme une mère pour ses enfants, opposés à tromperie, souillure, ruse, adulation, cupidité, recherche de gloire humaine. Ce qui continue en (6): labeur, peine, ouvrer pour ne pas être à votre charge, conduite sainte, juste, irréprochable, comme un père pour ses enfants, cette fois-ci. Il s’agit de trouver des critères de discernement de ce récit (ou événement) par rapport à d’autres semblables qui se présentaient, à une époque de la civilisation greco-romaine où il y avait un assez intense mouvement de sectes à croyances diverses, jouant du cosmopolitisme et de son brassage de gens à origines ethniques diverses, et donc de l’affacement des généalogies et traditions religieuses an¬cestrales.
P13. On y trouve des allusions à des codes sociaux fort importants, presque ignorés dans la lettre: la parenté dans le rapport de filiation (comme ‘modèle’ de l’éthique de l’évangélisateur), à quoi s’ajoutera une comparaison surprenante avec les douleurs de la femme enceinte (5,3) ; le travail de ses mains (propre des couches humbles des populations des villes), repris dans les exhortations “à vous occuper de vos propres affaires et à ouvrer de vos mains” (4,11) et à ne pas avoir “besoin de personne” (4,12).
S14. C’est autour de cette opposition entre ce qui relève des humains et ce qui relève du Dieu qui se clôt la séq. (6): il y a plus que des critères de discernement, il y a l’événement (deux aoristes) de votre accueil et de votre réception de la parole du Dieu écoutée de nous, “non comme la parole des humains, mais comme la parole du Dieu”. Et “c'est pourquoi nous rendons continuellement grâces au Dieu”, qui reprend 1a séq. (3) (c’est toujours de ce récit d’évangélisation que la lettre rend grâces, jamais du récit messianique) .
S15. Mais la transition à la séq. (7) se fait par un étrange “car [...] parce que” (gar [...] oti) justifiant donc les grâces rendues: “car vous, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises du Dieu, de celles dans la Judée en Jésus Messie, parce que vous aussi, vous avez souffert de la part de vos propres compatriotes les mê¬mes maux qu'elles de la part des Juifs” (2,14). L’imitation des assemblées de Judée dans les persécutions subies, elles par “les Juifs”, vous par “ceux de votre tribu”, est posée comme critère de discernement de ces accueil et réception de la parole du Dieu: “ainsi qu'elle l'est véritablement”. Écho peut-être du “mort pour nous” (S10).
S16. La séq. (7) développe ce que les auteurs appellent “les Juifs”: les responsables de la mort de Jésus et des prophètes (lesquels?) et ceux qui nous ont persécutés, donc les “opposés” aux deux récits, le messianique et celui de l’évangélisation (“nous empêchant de parler aux païens pour que ils soient sauvés”) , ce qui implique qu’ils ne plaisent pas à Dieu (sans ‘grâce’, donc) et s’opposent “à tous les humains”, ce ‘tous’ étant d’une extension douteuse (qui sont “tous les humains”?). La phrase finale (“mais la colère s’est hâtée à la fin”) semble éclairer ceci, si l’on rapporte “la colère” à ses deux autres occurrences (1,10 et 5,9) qui la lient à la parousie (à la façon d’une “ruine” surprenante, 5,3): s’il s’agit, comme il semble probable, d’une interpollation lors du reccueil des lettres de Paul, vers la fin du Ier siècle, d’un ajout lisant la victoire romaine dans la guerre juive et la destruction du Temple, en 70, comme le châtiment de la “colère”. Cet épisode a été la fin ethnique de la nation juive autour de son Temple, fin des “Juifs” en ce sens, catastrophique. De même que Marc et Mathieu lisent cette catastrophe comme le signe de l’imminence de la parousie, et surtout de même que le second semble la rapporter à la foule qui a incité Pilate à crucifier Jésus , on part, ici aussi, des juifs qui ont persécuté les premières assemblées messianiques, et l’on généraliserait jusqu’aux “Juifs”, les victimes de la défaite de 70.
P17. On peut parler d’un code de cœur, relatif aux rapports pour ainsi dire ‘affectifs’ entre le ‘nous’ destinateur et le ‘vous’ destinataire, dont les premiers éléments auront été les deux comparaisons à la façon dont (littéralement les trois, mais les images singularisent, singularisation qui est expresse plus loin, “du moins moi Paul” (2,18) Paul s’est comporté envers ses frères de Thessalonique, comme une nourrice qui chauffe ses enfants (2,7) ou un père (2,11). C’est dans la grande séquence II que l’on trouve les éléments de ce code: privation de rapport, “de personne mais non de cœur”, depuis un temps (2,17), “beaucoup de dilligence dans le grand désir de voir votre personne” (2,17), volonté “d’aller vers vous” (2,18), qui êtes “notre joie” (2,20), à deux reprises “ne tenant plus” (3,1 et 5), “extrême ardeur de vous voir en personne” (3,10). Et peut-être le “saint baiser” de la salutation finale (5,26).
S18. Les éléments de ce code donnent à la séquence II une couleur dramatique propre, que les autres n’ont pas. La séquence (7) en avait introduit la cause: l’assemblée de Thessalonique est devenue la cible de persécutions de la part de gens de sa ‘tribu’, comme en Judée. Paul désire y aller, à deux reprises il y eût des obstacles (attribués à Satan), alors, se résignant à rester seul à Athènes, il leur envoie Timothée pour les affermir et exhorter, pour contrer “le tentateur”, “pour que ne soit devenu vide notre travail” (3,5). Timothée revient avec “la bonne annonce de votre foi et votre amour” (3,6), donc il peut se réjouir et rendre grâces à nouveau (séq. (9)), comme dans la grande séquence I.
S19. On trouvera à deux reprises, dans la suite d’exhorta¬tions des grandes séquences III et IV, le syntagme “vous n’avez pas besoin qu’on vous écrive” à propos de ceci ou de cela (4,9 et 5,1). Ce que cette séq. II dit c’est que, si l’écriture est superflue par rapport à certains aspects de la vie de l’assemblée, il y a d’autres pour lesquelles elle n’est pas assez: quand il faut envoyer Timothée en personne. On aurait des degrés: 1) Paul en personne; 2) envoi de Timothée; 3) ce qui reste assuré - soit que vous l’ap¬prennez avec Dieu (4,9) ou l’avez appris de moi “avec exactitude” (5,1-2), les divers “vous le savez” qui ponctuent la séq. I -; 4) ce que l’on peut écrire, comme on le fait ici; 5) le travail de ceux qui ont été placés à la tête de l’assemblée. Ces possibilités ont toutes le même but: “que ne soit devenu vide notre travail” (3,5), en réponse au fait, à ce qui était arrivé au début, à savoir que “notre accès chez vous ne s’est pas fait vide” (2,1). En bref, c’est le sort du récit de l’évangélisation qui est l’enjeu: après la conversion initiale, la foi en Dieu et l’amour fra¬ternel, il faut toujours exhorter à “la persistance de votre espérance” (1,3). Pour Paul, il y va de son espérance à lui: “qui est, en effet, notre espérance, ou no¬tre joie ou notre couronne de gloire , si ce n'est-ce vous? devant Seigneur à nous Jésus, lors de son avènement?” (2,19). Le rapport de Timothée “nous a confirmés à votre sujet, dans toute notre nécessité et nos tribulations à cause de votre foi”. “Nous a confirmés” c’est pareklêthêmen, le même verbe qui, à plusieurs reprises, dit exhortation (parakaleô), cette ‘confirmation’ qui rend ferme, console aussi, au sens de rendre solide; c’est à dire qu’il y a une sorte de double effet de l’exhortation: d’une part, elle rend fermes ceux qui sont exhortés, d’autre part, cette fermeté réussie vient con-firmer à son tour l’exhortateur.
S20. Pour l’évangélisation, il y a donc aussi un récit passé et un récit à venir, celui-ci n’étant jamais sûr. Cette séq. II en raconte un segment: survenues des persécutions, Paul qui l’apprend et en souffre, crainte et anxiété pour ses frères, qu’ils ne soient pas perdus, et pour son travail, désir véhément d’y aller, envoi de Timothée, bonne annonce: ils avaient tenu bon. Un segment dès son début jusqu’au dénouement heureux. C’est la raison des lettres, ces récits des tribulations qui reprennent après le départ des évangélisateurs.
P21. Il y a un code éthique général qui oppose la sanctification des frères croyants à la souillure (4,7), celle-ci semblant avoir rapport à la sexualité: “vous abstenir de la fornication (porneia)” (4,3), que “chacun de vous sache (eidenai: savoir d’expérience, le concernant) posséder son propre sexe (skeuos) dans la sainteté et l'honnêteté et non dans un désir passionné (pathei epithumias: le même verbe qui disait le désir de Paul en 2,17)”. En 2,3, la “souillure” était mentionnée avec l’erreur et la ruse, et un peu plus loin l’adulation et la cupidité, en termes de l’éthique de l’évangélisateur lui-même. On trouve ensuite, après l’éloge de l’amour fraternel, une sorte d’éthique du travail consistant “à vivre en repos, à vous occuper de vos propres affaires, et à ouvrer de vos mains” (4,11), à être décent envers ceux du dehors et à ne pas dépendre d’autrui (4,12).
S22. “Au reste, frères” (4,1) signale un vrai virage dans la lettre: de la prédominance du narratif à celle de l’exhortatif. Les séq. (10) et (11) s’occupent de l’ethique, respectivement celle de la sexualité et celle de l’amour fraternel, y compris des questions de travail. Au lieu de agapê, qui toujours dans la lettre dit l’amour, il y a ici philadelphia, littéralement l’amour des frères: c’est l’un des points pour lesquels, tout au moins après le retour de Timothée, les frères de Thessalonique n’ont pas besoin qu’on leur écrive, car ils en sont les disciples de Dieu, apprennent de lui à “s’aimer les uns les autres” (4,9). Cet enseignement divin direct n’empêche Paul d’exhorter à s’excéder toujours dans cet amour fraternel, excéder (perisseuein) étant un terme déjà utilisé pour dire le grand désir de Paul à leur égard (2,17 et 3,10), en 3,12 se faisant la liaison entre grand amour de Paul et celui qu’eux doivent avoir entre eux, “comme nous pour vous” (4,1 et 5,13 répètent cette exhortation à toujours davantage d’amour).
S23. La séquence (12) est la seule où il y a expressément une déclaration “en parole du Seigneur”: elle concerne une question nouvelle, semble-t-il, pour Paul lui-même, qui annonce le retour du Seigneur Jésus Messie pour bientôt. Voici que, à Thessalonique, parmi ceux qui ont cru à la parole de Paul, il y en a qui sont morts (viennent de mourir peut-être) sans que ce retour eut lieu. Avant la déclaration, il y a un argument qui articule les deux récits, celui de Jésus - qui “est mort et est levé” - avec celui de la parousie, où Dieu “amènera par le Jésus avec lui ceux qui dorment [sont morts]”: si nous croyons le premier, croyons aussi le second. Ensuite, la déclaration solennelle “en parole du Seig¬neur” fait intervenir de façon massive le code mythologique des Hébreux: une clameur, voix d’archange, son de trompette de Dieu, descente du Seigneur des cieux, montée, sur des nuées, à sa rencontre dans les airs de la multitude des croyants, ceux qui étaient ressuscités et ceux qui restaient vivants. L’argument mise sur la foi en Dieu: il l’a fait pour Jésus, le fera pour ceux qui croient en lui, mais c’est Dieu, sans référence au ciel ou à la terre, qui fera (comme en 5,24), Jésus étant nommé deux fois de suite (seuls cas en 16 occurrences) sans aucun des titres Seigneur ou Messie (ni Fils, comme en 1,10). La déclaration, par contre, est un récit-fiction au futur qui raconte comment cela se passera: pas de place pour Dieu, autre que celle d’une trompette, tandis qu’il y a cinq mentions du “Seigneur” et l’une du “Messie”, mais pas de Jésus, cette fois-ci. On dirait que l’argument démythologise d’avance le récit-fiction mythologique.
P24. Les morts dont parle cette séquence sont ceux qui ont été croyants, ils sont désignés par un verbe qui littéralement dit dormir, être couché, et de façon figurative, selon la tradition de la traduction helléniste de la Bible (LXX), le sommeil de la mort, tandis que en 1,10, les morts en général sont nekroi, qui revient ici aussi une fois avec l’ajout “morts en Messie” (4,16). C’est à dire que le texte établit une certaine continuité entre les vivants et les morts, qui sera reprise dans la séq. (14) comme contraste entre ceux qui sont vigilants, éveillés, et ceux qui se laissent endormir, entre le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres.
S25. La séq. (13) enchaîne sur la question du ‘quand’ cela sera, “le jour du Seigneur”. Deuxième fois où vous, frères, n’avez pas besoin qu’on vous écrive: vous le savez - avec exactitude, renchérit le texte, de façon presque humouristique, au vu de ses nombreux “vous savez” - l’humour consistant en ceci que le savoir exact c’est qu’on ne sait pas, de même qu’on ne sait jamais par avance qu’un voleur viendra, sauf que c’est dans la nuit. Ce sera quand on ne s’y attendra point, quand on se croira en “paix et sécurité”, il viendra comme une ruine soudaine, une surprise, “ils” ne pourront pas échapper. C’est qui? Les autres, pas “nous” (qui monterons dans les airs). La séquence (14) entrera dans la com¬parai¬son entre ‘nous’ et ‘eux’.
S26. Il y a encore dans cette séquence sur l’attente sans heure prévisible une comparaison surprenante, pour ceux qui sommes habitués à lire ce texte comme ayant été écrit il y a presque deux mille ans, et que pouvons toujours penser: puisque on ne sait pas quand cela sera, cela peut encore venir, Paul ne s’est pas trompé. La comparaison de quelque chose qui “les sur¬prendra, comme les douleurs sur la femme enceinte” (5,3): cette comparaison a des limites très obvies, car si c’est vrai que ces douleurs viennent sans que l’on sache quand, et donc la comparaison vaut - comme celle du voleur, elle serait même plus digne éthiquement -, c’est tout autant vrai que ce sera vers les 8 ou les 9 mois de grossesse, et non pas deux ou quatre ans. C’est à dire que la comparaison vient confirmer l’usage du ‘nous’ dans ces séquences - “nous les vivants qui seront restés pour l’avènement du Seigneur” (4,15), “nous les vivants qui seront restés, nous...” (4,17) -: Paul croit qu’il sera toujours vivant quand ce sera, n’envisage pas du tout qu’il pourra mourir avant, comme il est arrivé à ceux sur lesquels il est en train d’argumenter et de faire un récit-fiction. C’est une énorme question qui partage la collection des textes du N. Testament: d’un côté ceux qui gardent cette croyance ‘primitive’, écrits entre 50 et 80 environ (50 ans après la crucifixion de Jésus, l’an 30), de l’autre côté tous les autres, d’une deuxième ou troisième génération de croyants, qui ont été obligés de considérer que leurs aînés s’étaient trompés à ce sujet.
S27. La séq. (14) est la suite des précédentes, en reprenant le ton exhortatif de (10) et (11), avec une différence curieuse: elles sont ici faites à travers une série de métaphores liées entre elles qui rapportent donc le jour et la lumière, dont vous-nous sommes les enfants, à la vigilance et à la sobriété, en contraste avec la nuit où l’on s’en dort et on s’enivre. “Ne dormons donc point comme les autres”, car le jour (du Seigneur) viendra comme un voleur dans la nuit. Et du coup, le motif de la vigilance pendant la nuit devient une métaphore militaire: comme si l’on passait de la sentinelle au combattant, il faut revêtir une cuirasse et mettre autour de la tête (perikephalaian) un casque: la cuirasse de la foi et de l’amour, le casque de l’espérance du salut. Décon¬certante au premier abord, cette métaphore militaire ne semble pas avoir sa clé dans le contexte des séquences (12) à (14) puisqu’il ne s’agira plus de combattre quand le jour du Seigneur, “la colère” (5,9 et 1,10), arrivera: on sera “enlevés de force sur des nuées” (4,17). La seule connotation qu’on puisse lui trouver dans le texte est celle des persécutions subies et des tribulations, les références à “notre travail et notre peine, nuit et jour à l’œuvre” (2,9), et plus loin, on réfère les dirigeants de l’assemblée par “ceux qui travaillent chez vous [...] leur œuvre”. En effet, ce sont ces motifs, du travail (kopos, travail pénible, fatigant) et de l’œuvre (ergon) qui qualifient respectivement l’amour et la foi dans leur présentation initiale, en action de grâces (1,3). Tandis que l’espérance est du côté de la persistance dans la durée. La métaphore semble donc dire qu’autant la foi que l’amour impliquent des efforts ‘corporaux’ (cuirasse, c’est thôrax en grec) durs et difficiles, et que l’espérance dans “le jour du Seigneur” doit en être le guide, “autour de la tête”. “Car Dieu nous a placés [...] pour l'acquisition du salut” (5,9), “c'est pourquoi exhortez-vous les uns les autres, et édifiez-vous les uns les autres, comme vous le faites” (5,11). L’exhortation, ailleurs dans la lettre, étant toujours venue de Paul, de ‘nous’ à ‘vous’, ici, tout en le restant (“exhortez-vous les uns les autres” c’est une exhortation), elle devient aussi ce qui doivent faire - et qu’ils font, c’est ajouté - les frères entre eux, travail, peine, œuvre. Ce qui donne une autre métaphore, plus adéquate à travail et œuvre, celle de l’édification (oikodomeite), de la construction d’une maison, qui n’a pas de corrélats dans le texte . Mais ne peut pas ne pas en avoir chez les ‘frères’ et leurs maisons. Ce n’est pas l’une des moindres surprises de ce texte qu’elles restent en silence, des allusions à peine peut-être en (10) et (11). Le domaine que Paul est en train de travailler, sinon de bâtir, est autre que celui des maisons, à son écart, semble-t-il; il n’y a pas non plus de référence à la chose publique, quelle qu’elle soit.
S28. La séq. (15) introduit, pour la première fois et sur le moment de finir, une distinction entre les frères destinataires, mettant à part “ceux qui travaillent chez vous, placés devant dans le Seigneur, et vous reprennent” - ils seront les seuls destinatai¬res des séquences finales (la grande séquence IV) - et s’adressant à tous les autres, pour qu’ils s’excèdent en amour pour ceux-là. L’avant-dernière séq., (16), consiste en une série de petites exhortations qui ne semblent attirer aucun commentaire spécial, ni évoquer aucun code significatif pour la compréhension de la lettre (sauf si la lecture d’autres lettres y trouve des corrélats, invitant à y revenir). La seule exception n’est qu’apparente: “eidos” (5,22), “psuchê” et “sôma” (5,23), relèvent du vocabulaire philosophique divulgué dans l’hellénisme, mais sans qu’on puisse prétendre en tout cas qu’ils appartiennent à un code philosophique dans le texte: notamment, les deux derniers n’ont aucune incidence dans la question des morts qui se relèveront lors de la parousie. De même, “psuchê” en 2,8 ne peut pas être l’âme philosophique, celle-ci ne se partage pas.
S29. “Je vous en adjure par le Seigneur, que cette lettre soit lue à tous les frères”: ce mot concerne le destin de la lettre elle-même, celui d’être lue et par qui, la lettre y destine ses destinataires de façon fort précise et, on peut le dire, démocratique, puisque c’est à toute l’assemblée des frères qu’elle doit être lue. Que l’auteur tienne à cette démocratie de lecture, est fort marqué par le mot adjure (enorzikô), qui contient celui de ‘serment’ (orchos), et par l’accentuation enfin du ‘je’ de Paul, dit avec une autorité que jusqu’ici le ‘nous’ avait toujours effacé. “Par le Seig¬neur”, sans doute, mais autorité parmi les frères, à l’adresse de ceux qui sont “placés devant dans le Seigneur” (5,12), autorité vis-à-vis de ceux qui sont constitués aussi en autorité.
R30. Faisons maintenant une relecture de la lettre. On y a repérées quatre grandes séquences, que l’on pourrait désigner ainsi: I- “Nous rendons grâces à cause de vous”, II - “Nous voulons aller vous voir”, III et IV - “Nous vous exhortons” (la différence entre III et IV étant dans le dédoublement de ‘vous’), dont la première est à accent narratif, les deux dernières exhortatif et la deuxième a une sorte d’accent dramatique. Disons que c’est ce ‘drame’ qui demande à être éclairé.
R31. De quoi parle la lettre? Elle est écrite à partir de deux récits, on l’a vu, et en attente d’un récit à venir. L’un d’eux, celui qui est détaillé dans la séq. I, a établi le rapport entre ‘nous’ et ‘vous’, entre les destinateurs et les destinataires de la lettre, qui se trouvent liés ente eux dans ‘quelque chose’, que l’on pourrait désigner peut-être par “en Dieu Père et Seigneur Jésus Messie”, selon le titre même de la lettre. C’est cet ‘en’ qui pose problème: il dit l’assemblée telle qu’elle se perçoit et se croit. Je proposerai, en tant qu’hypothèse que la suite pourra infirmer, confirmer, élargir, transformer, je proposerai de parler de cet ‘en’ comme un domaine que j’appelerai par les mots de la salutation qui reviendra dans toutes les lettres de Paul et de son école: (état de) grâce et paix.
R32. ‘Domaine’: ce n’est pas seulement le temps de réunion de l’assemblée, c’est quelque chose de stable (état), qui dure, qui ne se confond pas avec leurs maisons, avec leur organisation (semblables sans doute à celle des autres maisons), ni avec la chose publique (S27), enfin qui se distingue des “Juifs” et des “Païens”. Dans tout ‘domaine’ il y a un père, qui en est le seigneur: ici, il se double, entre le Dieu juif qui, à quatre reprises (toutes en I et II), est dit le Père - d’où il s’en suit que tous ceux du domaine soient des frères entre eux -, et le Jésus Messie qui est le Seigneur à nous et qui, une seule fois - où il est mentionné par son seul nom humain, “Jésus”, sans d’autres titres -, est dit “son Fils” (1,10). Sans que jamais il soit dit frère de Paul ou des croyants de Thessalonique.
R33. C’est cette stabilité que l’expression ‘(état de)’ désignerait. Tandis que le nom ‘grâce’ dirait que ce domaine est octroyé comme une grâce, une “élection” (1,4), ceux qui y sont sont les “bien-aimés” de Dieu (ibidem), il faut en rendre grâces “toujours”, “sans cesse”, comme si “la persistance” de ce domaine - visible dans “l'œuvre de votre foi, le labeur de votre amour et la persis¬tance de votre espérance du Seigneur”, ce qui serait le ‘charme’ des grâciés - était la continuation de la grâce, de la grâce encore. Relevant du Dieu le Père, qui a eu l’iniative pour lever Jésus des morts et l’aura encore lors de sa parousie, mais aussi, selon le dernier mot de la lettre, du Jésus Seigneur et Messie, de façon un peu surprenante par rapport aux mentions antérieures. Or, la préposition ‘en’ du titre, à la suite duquel vient le “grâce à vous et paix !”, y vaut pour les deux aussi, pour le Dieu et pour le Jésus Seigneur et Messie, tandis que dans la lettre, par contre, elle re¬vient sept fois et toujours seulement “en Jésus Messie” ou “Seigneur” (2,14, 3,8, 4,1, 4,15, 4,16, 5,12, 5,18). Ces deux excep¬tions, au début et à la fin, sont-elles des inattentions à corriger, ou bien impliquent une sorte d’effacement de la différence entre ces deux ‘instances’ divines? Enfin, le nom ‘paix’, si sa présen¬ce dans 1,1 et dans “le Dieu de paix” (5,23), le laisse du même niveau que ‘grâce’, sa reprise en 5,13, en clôture de la séq. III, “gardez la paix entre vous”, en fait aussi la chose de l’activité mutuelle des frères, de leur agapê, de leur philadelphia. Le domaine relèverait, de façon stable, durable, de Dieu et de Jésus, d’une part, de l’autre des frères, de façon instable, la stabilité donc entre parenthèses: ‘(état de) grâce et paix’. La composante des frères serait celle de leur fragilité, des menaces (tribulations, souffrances, tentations du tentateur) qui rendent les auteurs de la lettre si soucieux de leurs destinataires, qui font qu’il faille toujours leur souhaiter “grâce et paix”.
R34. On comprend mieux le contraste entre les deux premières grandes séquences: l’une qui rend grâces, l’autre qui est fort inquiète pour cela même dont on vient de rendre grâces, inquiète pour son œuvre (S27) d’édification du domaine, que son travail ne soit pas “vide” (3,5, cf. 2,1). Ce travail, à l’arrivée de Paul, a consisté en l’annonce de l’évangile du Dieu, pas “en paroles seulement, mais en puissance et en le souffle saint , et en pleine assurance”; réussie la conversion des frères, il consistera dorénavant surtout en paroles d’exhortation, parakaleô, d’appeler, convoquer, inviter (kaleô) dans la direction, le sens de (para-) la persévérance (de l’espérance) du domaine jusqu’au retour du Seigneur, appel qui affermit, rend ferme (P8, S18-19). Et puisque les deux autres séq. III et IV ne sont que de l’exhortation, on peut dire l’enjeu de la lettre comme celui de faire durer, par des paroles (verbales, celles de Timothée envoyé en personne, ou écrites), ce qui a été reçu comme grâce. J’ai été très frappé, en abordant cette lettre, de me rendre compte qu’il y apparaît pour deux fois la triade foi-amour-espérance, qui autrement ne vient qu’une seule autre fois chez Paul et dans tout le nouveau Testament, dans le célèbre passage de 1 Cor 13,13. Or, ces deux citations se situent, l’une au tout début de la lettre, l’autre vers sa conclusion, comme si tout son trajet argumentatif devenait lisible par la comparaison entre elles. Dans la première (1,3), la foi est caractérisée comme œuvre, l’amour comme labeur [pénible] et l’espérance par la persistance, certes, ils impliquent donc du travail et de la peine de ceux qui les ont reçu, mais leur place au début de la lettre leur revient parce qu’ils sont motif de rendre grâces, sont donc la grâce, le don du Dieu et Père. Dans la seconde (5,8), toutefois, ils sont devenus cuirasse et casque, l’œuvre et le labeur pénible devenus des métaphores militaires, renvoyant aux “combats” de Paul (2,2) sans mention de la grâce.
R35. L’enjeu est explicité à trois reprises comme devant être discerné entre ce qui relève des humains et ce qui relève de Dieu (1,5, 2,4, 2,13): plaire à celui-ci et pas à ceux-là, parole de celui-ci, pas de humains. La dernière citation est très explicite: “C'est pourquoi nous rendons continuellement grâces au Dieu de ce qu'en acceuillant la parole écoutée de nous de Dieu, vous l'avez reçue, non comme la parole des humains, mais - ainsi qu'elle l'est véritablement - comme la parole du Dieu, qui agit en vous qui croyez”. “La parole écoutée de nous de Dieu” est une traduction littérale, en français il faudrait lire “la parole de Dieu écoutée à travers nous”. Or, “nous”, ce sont des humains: la parole de Paul est celle de Dieu ou, ailleurs, du Seigneur. Qui écoute, écoute sans aucun doute la parole de Paul; comment savoir que c’est la parole de Dieu? On sait que c’est l’un des grands enjeux des lettres pauliniennes; déjà ici, dans une lettre somme toute assez triviale - qui, presque à l’instar de celle à Philémon, ne fait sans doute pas partie du corpus sinon parce les autres l’ont créé, toute seule elle n’aurait aucun intérêt -, c’est la parole d’édification exhortative de Paul qui y domine, jusqu’au point qu’il puisse se comparer à “une nourrice (qui) rechauffe ses enfants, pleins de tendresse” (2,7-8), et surtout qu’il puisse écrire que “nous avons été pour chacun de vous ce qu'un père est pour ses enfants, vous exhortant...” (2,11-12). Jusqu’au point donc que la parole exhortative de Paul est métaphorisée par la paternité, telle que la parole divine: le Dieu le Père et Paul comme un père. Si Paul lui-même se laisse glisser ainsi, c’est bien que l’enjeu est de taille, qu’il faut donc faire croire que c’est “la parole de Dieu écoutée à travers nous”. La seule décision est celle de la foi, de l’amour fraternel et de l’espérance: “la parole du Dieu, qui agit en vous qui croyez”.
R36. Or, la lecture que je suis en train de faire aujourd’hui peut être celle d’un lecteur y croyant fort, mais tout aussi bien d’un lecteur qui n’y croit pas du tout, qui lit à la façon d’un ethnologue analysant des mythes, y compris les utilisant de façon thérapeutique (Tobie Nathan). On ajouterait, par exemple, qu’il s’agit d’une sorte de dénégation, que plus Paul exhorte, se donne du mal, plus il y fait de sa parole d’humain et par là même il dénie qu’elle soit de Dieu. On peut donc garder un registre sémiotique (ou exégétique) ou philosophique et avoir la prétention qu’il soit valable aussi pour des croyants. Et poser cette question: supposons que Dieu n’existe pas, qu’il n’a donc pas réveillé Jésus des morts, que celui-ci n’est pas venu comme on l’attendait et ne viendra jamais, quel est l’intérêt ‘humain’ de l’œuvre de Paul, cet intérêt qu’il déniait, dévalorisait?
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