un essai de phénoménologie historique et textuelle
1. Ne pas croire
à un créateur ne fait pas disparaître le Christianisme de l’histoire
Il
peut au contraire nous poser d’excellentes questions, nous qui sommes ses
héritiers autant que de la Philosophie grecque, que l’on ne cesse de relire avec
profit, même si leurs concepts et arguments ne sont plus les nôtres. Le
Christianisme aussi, demande à être relu autrement.
2. Trois
présupposés de cette approche du Christianisme :
a) en suivant la
nouvelle exégèse du Pentateuque (A. de Pury), selon laquelle le livre du Deutéronome a été le premier écrit, 3 siècles et demi après le début de la
monarchie israélite, les Prophètes sont les écrivains penseurs de la Bible
hébraïque (comme les Philosophes le sont de la Philosophie grecque) ;
b) l’historicité de
ces phénomènes est d’abord celle des textes qui les racontent, d’où que
l’approche doive être textuelle, en suivant leurs
problématiques et chronologies : leurs transformations (si l’on sait les
lire) sont tout autant historiques ;
c) religion et
politique sont indissociables dans la société juive, la Bible est un texte à la
fois spirituel et politique. Il faut éviter un
postulat implicite de son approche exégétique, l’anachronisme spontané de
penser que les évangiles ont été écrits pour être lus vingt siècles plus tard,
et par exemple qu’ils se jouent selon la séparation moderne État /
Églises.
3. L’argument
politique : l’alliance et l’apocalyptique
Âge du Bronze
récent, siècles 15e à 13e avant J.-C., la région de
l’Egypte, Grèce et Proche Orient connaît une civilisation qui a des rapports
commerciaux, diplomatiques et guerriers entre ses puissances, Egypte, Grèce de
Mycènes, Hittites [Turquie], Assyriens [Afghanistan], Babylone, dit l’historien
américain Eric Cline, avant qu’au tour de 1177 av. J.-C. elle ne soit entrée en
déclin. L’Âge du Fer prit quelques siècles pour relancer les empires, la
monarchie de David (prise de Jérusalem vers l’an 1000) a profité de ce répit
pour s’affirmer en Canaan avec une certaine autonomie, mais par la suite est
devenue vassale des diverses puissances, Assyriens, Babylone, Perse [Iran],
Séleucides, Romains. Le Deutéronome a été écrit
pendant une reprise entre Assur et Babylone, en proposant le motif d’alliance où son Dieu est le souverain et Israël le vassal (dans le récit des 10
plaies de l’Egypte, c’est Yahvé contre le Pharaon, de souverain à souverain,
pas contre ses Dieux), le premier lui assurant bénédiction et protection face
aux nations étrangères, s’il se trouve fidèle à l’éthique du Décalogue et au
droit autour du Temple de Salomon, Placé au désert
longtemps avant la monarchie, celle-ci – avec toutes ses usages agricoles et
d’élevage et coutumes – est réduite pour que le
rapport de souveraineté soit clairement manifeste. Dt 28 et Lv 26, les
bénédictions et les malédictions, disent cette doctrine prophétique, que le
livre de Job, quelques siècles plus tard, critiquera en ce qui concerne le
destin du juste abandonné. Après la défaite des Iraniens, les plus tolérants de
ses suzerains (ils ont rendu possible que la Torah devienne la loi en Israël),
l’emprise grecque et puis romaine est devenue tellement imposante, excluant
toute révolte militaire, qu’elle a engendré une littérature apocalyptique qui
attend l’intervention eschatologique du Dieu Souverain de l’alliance comme
seule issue à cette oppression. Jean le Baptiste et Jésus de Nazareth
s’inscrivent d’emblée dans cette conception apocalyptique, annonçant le Royaume
de Dieu, c’est-à-dire la venue du Créateur prendre
possession de son vassal allié et faire le Jugement final des humains : «
les temps sont accomplis, le Royaume de Dieu est tout proche ». En plus de
la figure de Messie elle-même, une autre figure eschatologique des évangiles est celle du Fils de
l’homme, empruntée à Daniel (7, 13-14,27) comme une ascension collective des justes vers
le Ciel évoquée dans le tout premier écrit chrétien : ‘nous, les vivants,
nous qui serons encore là pour l’Avènement du Seigneur […] nous serons réunis
[…] et emportés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur Jésus dans les airs’
(1Th 4,15-7). Très étrange à nos yeux de descendants des Grecs, c’est la
figuration de l’issue éternelle des justes de la Terre vers le Ciel dans une culture qui ignore l’opposition platonicienne entre le corps
et l’âme immortelle. Voici le contexte politique des textes concernant les
origines du christianisme.
4. L’utopie
évangélique
On pourrait dire
ainsi la logique de ces deux figures, du Fils de l’Homme collectif montant de
la Terre vers le Ciel pour accomplir le Royaume de Dieu. a) Elle est propre
d’une société à économie agricole et d’élevage qui dépend donc essentiellement
des fécondités de ses plantations et de ses troupeaux, des bénédictions que le seul et dur travail des champs ne garantit de lui-même. L’alliance selon les prophètes a lié la surabondance des cueillettes et du bétail
à la justice du père de la maison. C’est la table
qui résulte de ce travail béni qui fait des gens de la maison une communauté
qui partage ce qui nourrit leurs corps : à l’envers de l’individualité de
l’âme grecque qui doit être vertueuse, ici c’est le biologique travaillé et
mangé pour faire du biologique, nature puis culture puis nature
indissociablement, c’est la table donc qui est au
cœur de la pensée prophétique. b) L’amour du voisin, du prochain, voire de
l’étranger victime de voleurs, de celui qui a faim, qui a soif, qui est nu,
sans gîte, malade, prisonnier, celui qui n’a pas de maison en somme, c’est la
table bénie, qui donne du plus qu’elle a reçu en fécondité à ceux qui en
manquent, c’est elle qui va au-delà des murs des maisons et des frontières
ethniques et de ségrégation sociale, vers le rassasiement à cent pour un. c) La
table du pain et du vin partagé par ces justes en mémoire de la table de Jésus,
est le noyau du paradigme des textes du nouveau Testament, de la nouvelle
Alliance : on peut dire que c’est l’utopie évangélique dont la figure est
le Fils de l’Homme collectif en ascension vers le Royaume messianique (plus
facile à démythologiser après l’ascension des Américains à la Lune). Ce qui est
difficile à penser dans cette figure, c’est qu’elle résiste à nos capacités de
spécialistes, est-ce du biologique ou de l’économique, du religieux ou du
politique, a rapport à la ‘dignité humaine’ et ses droits ? Pas de
séparation entre pensée et action, théorie et pratique, il ne s’agit pas non
plus de métaphores (végétales ou concernant des bergers), des images
pédagogiques, c’est juste la ‘réalité’ de la vie, si l’on peut dire. C’est un
défi à notre pensée greco-romaine-chrétienne. L’utopie actuelle : la
fécondité globale des vivants à nourrir et à guérir, la justice du partage autour
de soi de ce que l’on a reçu, l’amour du prochain. Moi, je n’arrive pas, c’est
très difficile.
5. Paul :
le Messie, de la résurrection au retour en gloire ; le Fils de Dieu
Les 7 lettres de
Paul écrites de son vivant se situent entre deux récits majeurs, celui de la
mort de Jésus sur la croix et sa résurrection dans le passé récent et celui de
son prochain retour en gloire. Ecrites à des fidèles venus du paganisme, elles
ajoutent au motif eschatologique de la messianité de Jésus, titre céleste juif,
celui de Fils de Dieu, plus adéquat à son
auditoire. Au début de la lettre aux Romains, ‘il a été défini comme Fils de
Dieu de par la résurrection des morts’ (1,4) signale ce titre comme
‘platonicien’, eu utilisant le verbe définir (horizô) de Platon, relatif aux Formes idéales célestes définies (le beau, le
bien, le juste, la vertu) :
c’est donc un titre céleste grec qui est
juxtaposé au titre juif de Messie qui viendra bientôt. Ajoutons que, écrites avant les évangiles, ces lettres ignorent à peu
près tout de leurs récits et des paroles de Jésus, en se réclamant de ne pas
connaître le Messie selon la chair (2Co 5,16), conséquence logique de la dimension
eschatologique de cette figure, qu’il n’attribue à Jésus qu’en conséquence de
sa résurrection.
6. Les
évangiles : récits du Messie avant la résurrection
Les quatre
évangiles prennent le défi de Paul dans cette question : ils sont bâtis
structurellement autour de la question de la reconnaissance de la messianité de
Jésus par ses disciples, la confession de Pierre étant chez les quatre le
tournant narratif décisif, à la suite de la ‘multiplication des pains’, chez
les synoptiques celle-ci étant le critère de la compréhension messianique de
Pierre, tandis que Jean, assez tardif, dépend d’une autre tradition narrative
qui a peu de choses communes avec les synoptiques et sur laquelle l’auteur développe
une théologie fort énigmatique. L’audace synoptique les oblige d’essayer de justifier
la condamnation à la mort du Messie, ce qu’ils font en la prédisant et son
dénouement par la résurrection, prédiction qui contredit, très clairement chez
Marc, je l’ai montré il y a 42 ans, la finesse narrative des stratégies de
Jésus, depuis le début provoqué par des adversaires et devant laisser les
villes, utilisant Gethsémani comme lieu de clandestinité de celui qui ne veut
pas du tout mourir ; de même, la surprise du tombeau vide démontre la
construction théologique de ce discours de prévision, qui chez Luc deviendra un
plan divin de salut.
7. Les deux
échecs et leurs issues : la
résurrection et le passage des Juifs aux Grecs avec pré-existence et
incarnation
La résurrection est
donc l’issue de l’échec de Jésus, condamné par le
pouvoir religieux du Temple. Elle n’est pas racontée, cela va de soi, mais sa
logique est messianique, le titre eschatologique de Fils de l’Homme sera déplacé du collectif sur le seul Jésus, le ressuscité est monté
seul au Ciel ; étant seulement annoncée chez Marc, elle ouvre d’emblée,
tout comme chez Paul, sur le retour eschatologique du Messie. Certes, ceci
défie l’historicité, ces textes toutefois attestent historiquement et la croyance
de ses disciples et qu’ils ont surmonté leur peur d’être poursuivis après la
crucifixion (Pentecôte chez Luc) ; leur aventure missionnaire ne peut se
comprendre sans leur foi et dans la résurrection et dans le retour messianique
à brève échéance, avant la disparition de tous les témoins de Jésus, ce qui
toutefois est en train d’arriver avec la persécution des chrétiens des années
60 à Rome. Or, le Temple étant chez les synoptiques l’adversaire symbolique du
Messie, sa destruction par l’armée romaine en 70 est annoncée comme prélude à
la grande catastrophe apocalyptique ; écrivant vers 71, Marc y voit le
signe clair du retour messianique imminent : « comprends,
lecteur ! », dit-il (13, 14) ; quelques années plus tard, ce
retour est encore attendu par Mathieu. Pas d’apocalypse, ce fut le second
échec, et il atteint en retour le premier : on
aura des récits d’apparitions du Ressuscité, plus de 50 ans après son meurtre.
Mais à des yeux juifs, c’en est fini de croire qu’un condamné à mort soit le Messie,
un ressuscité qui n’est pas venu en gloire de Messie. Quelques mots de Mathieu
selon lesquels Jésus escomptait le salut des seuls Juifs soulignent que c’est
le courant ouvert par Paul vers les gentils qui
continuera la mission en milieu grec, en s’appuyant donc plus sur le titre de Fils
de Dieu, lequel chez les synoptiques n’occupe pas le
devant de la scène, mais fera fortune chez Jean, vers l’an 100. Deux parmi les
lettres attribuées à Paul, aux Colossiens et aux Éphésiens, reculeront le Messie de l’eschaton, le
terme final, vers l’archê, le commencement :
les motifs de la pré-existence du Messie et de son incarnation y seront
dessinés avec des motifs philosophiques à l’appui, de même que dans l’hymne
introduit au 2e siècle chez Philippiens
2,6-11 : ils permettront de développer le Fils de Dieu, déjà chez Jean plus clairement (ce texte est de lecture spécialement
difficile entre le juif et le grec). Reste que les intellectuels chrétiens du 2e
siècle, dits Apologistes grecs, font leurs discours d’apologie du christianisme
auprès d’intellectuels païens en ne parlant que du Fils de Dieu : chez eux ni Jésus ni Messie, que du grec, pas du juif.
8. Origène
platonise le discours théologique : l’âme immortelle
Sans doute, les
transformations du discours chrétien entre les dominances juive et grecque
pendant un peu plus d’un siècle demandent des analyses pour lesquelles je
manque de compétence, mais Origène en est plus que le témoin, il est
l’opérateur de l’extraordinaire réussite du grec platonicien : vieux de
six siècles, celui-ci prend ce discours ‘oriental’ nouveau-né, comme il l’a
fait sur beaucoup d’autres sans doute, et crée une théologie qui durera jusqu’au
20e siècle tout au moins (après refonte aristotélicienne par Thomas
d’Aquin). Dans cette théologie philosophique, seule l’âme et ce qui s’y réfère
est ‘digne de Dieu’, tout ce qui est corporel, narratif, historique, est réduit par le biais d’une théorie des sens de l’Écriture qui cherche, dans ce
qu’elle appelle le ‘sens littéral’ des textes leur ‘sens spirituel’ : les
textes deviennent des prétextes au spirituel platonicien. La Bible hébraïque
devient l’Ancien Testament, qui ne fait qu’annoncer le Nouveau, spolié de son
eschatologie voire – à la lecture théologique – de la résurrection. Ces motifs
ne sont pas niés, ils gardent leur place dans le Credo et dans la liturgie où
les deux Testaments ont le rôle principal, mais ils n’ont pas de place dans le
discours théologique qui ‘lit’ la Bible : c’est l’âme immortelle qui aura la part du lion. Deux tests sur l’incompatibilité entre
celle-ci et la résurrection : chez Celse, un platonicien spirituel discuté
par Origène, chez Grégoire de Nysse, Sur l’âme et la résurrection, au 4e siècle.
9. Les dogmes du
4e siècle : sans la résurrection, Jean contre Paul
Si c’est vrai que
Paul ne reconnaît Jésus comme Messie et Fils de Dieu qu’à la suite de la
résurrection, il faudra s’étonner assez fort de savoir que celle-ci n’a aucun
rôle dans les définitions dogmatiques sur la Trinité et la Christologie :
placée au cœur des lettres de Paul et assurant le dénouement des quatre
évangiles, la résurrection ne compte pas dans le discours dogmatique des
Conciles grecs, pas plus que dans la théologie que l’on enseignait dans les
séminaires catholiques vers le milieu du 20e siècle. L’incarnation
de la deuxième personne de la Trinité est devenue bien plus importante que cet
événement sans témoins arrivé au crucifié. L’évangile de Jean semble
l’emporter, mais là il faut avouer une difficulté majeure : pourra-t-on
lire son introduction (le Logos s’est fait chair)
et son mot le Père et moi, nous sommes un sans que
les dogmes du 4e siècle interviennent, les lire en tenant compte du
monothéisme juif, donc en précisant une ‘unité’ semblable à celle de Paul, si je vis,s ce n’est plus moi, c’est le
Messie qui vit en moi ? Peut-on distinguer entre
‘juif’ et ‘grec’ dans ce texte énigmatique ? En regardant de façon
élargie, c’est comme si Jean avait prévalu sur Paul dans cette dogmatique où la
parenté humaine a défini métaphoriquement la nature divine. Il ne s’agit pas de
contester le dogme, on le laisse dans cette philosophie grecque où il a été
formulé (qui n’est plus la nôtre), qui pendant de longs siècles a cautionné
l’aboutissement du christianisme comme une ‘institution divine pour le salut
des âmes’, pas grande chose à voir avec les récits évangéliques.
10. De mouvement
spirituel, le christianisme devient religion de l’ensemble social et assume la
morale de l’A. T., le Décalogue, en laissant l’éthique évangélique aux moines
et autres spirituels
L’un des plus
grands obstacles des lectures des trois premiers siècles du christianisme,
c’est qu’on le prend dès son début comme la ‘religion’ qu’il est devenu après
Constantin et Théodose et qui a façonné l’Europe. Dans cette religion, les
bébés sont baptisés du baptême qui appelait à la conversion eschatologique des
adultes, le baptême des croyants qui ont dû ensuite, trois siècles durant,
subir des hostilités sociales plus ou moins fortes, parfois très meurtrières,
de la part de l’empire qui avait exécuté celui qui était la référence divine de
leur foi. Ce qui était un mouvement spirituel
minoritaire est devenu l’englobant de l’ensemble des populations, participant
du pouvoir politique de César et de l’Argent, devenu semblable à l’institution
qui dans les synoptiques entourait le Temple du « Dieu des morts ».
En plus du baptême des enfants, l’adoption du Décalogue dudit Ancien Testament
comme morale sociale en dit long sur cette différence, car on voit tout de
suite au 4e siècle se déclancher des mouvement spirituels au désert,
puis chez saint Benoît, qui se réclament de l’éthique eschatologique des
évangiles délaissée par l’institution religieuse, qui ne traduira même pas les
textes latins de la liturgie quand les gens ont cessé de comprendre la langue.
Mais il faut savoir que sans Platon et sans Constantin le christianisme aurait
disparu de la scène historique, comme il est arrivé aux autres cultes d’origine
asiatique qui le côtoyaient dans l’empire romain.
11. Le double
lien des Églises chrétiennes : la liturgie
de source juive (qui se répète) et la théologie grecque et l’appareil romain
qui se réforme au gré des diverses époques
historiques
La différence entre
l’apport juif et l’apport greco-romain a permis de caractériser la structure
des Églises chrétiennes par une doublure articulée. D’une part, la liturgie héritée
de la synagogue autour des lectures de la Bible et celle des gestes de partage
du pain et du vin en mémoire de Jésus mort et ressuscité a un caractère que
l’on peut dire répétitif, ce que l’on peut appeler l’ecclésial, plutôt commun aux diverses confessions ; de l’autre part, les
changements historiques de la civilisation occidentale ont obligé souvent à des
réformes de l’ecclésiastique, disons, des appareils d’organisation des clergés et de leurs discours
devant les autres pouvoirs publiques autant que devant les gens dont les clercs
se disent, sans embarras, les pasteurs vis-à-vis leurs ouailles. Deux chapitres
font un court bilan des transformations historiques, d’une part avec les
universités médiévales, sans doute, l’une des plus importantes des inventions
ecclésiastiques par rapport à l’Europe à venir, la théologie de Thomas d’Aquin
ayant rendu Aristote son maître école, d’autre part les réformes spirituelles
incessantes, soit des mouvements de hommes ou femmes ‘consacrés’ à l’éthique
évangélique parmi les catholiques, soit des mouvements protestants et leurs revivals, par règle ces innovations spirituelles devenant à la seconde ou
troisième génération plus ou moins ‘religieuse’ ou ‘ecclésiastique’, donc
ouvrant chemin à des futures innovations.
12. Une éthique
de la fécondité au-delà de ce que l’on peut
Pour finir, la
proposition d’une éthique évangélique, en commentant le discours sur la
montagne de Mathieu, chap. 5 à 7, que l’on peut
lire dans un blog (une éthique au-delà de ce que l’on peut: le discours sur la montagne Mt
5-7).
http://phenomenologiehistorique.blogspot.pt/2016/06/une-ethique-au-dela-de-ce-que-lon-peut.html
13. La politique selon Jésus, c’est le
service
La fécondité de
cette éthique de saints, de grands passionnés, n’est visible peut-être qu’à des
yeux déjà un peu ouverts au spirituel. Mais elle implique aussi une
politique : ‘vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations
[les rois] leurs commandent en maîtres et que les grands leur font sentir leur
pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui
devra devenir grand (megas) parmi vous, se fera
votre serviteur (diakonos) et celui qui voudra être
le premier parmi vous, se fera l’esclave (doulos)
de tous’ (Mc 10,42-4). Megas, grand, en latin magis, donc magister, maître, le minister, le petit, minus. Ce sont les ‘dirigeants’
ecclésiastiques qui se sont appelés eux-mêmes ‘ministres’, les petits, c’est le
déplacement historique de leur place vers celle des grands qui a opéré
l’inversion sémantique de notre mot ‘ministre’. Comment un ministre chrétien,
se situant à une place de pouvoir sur la nation, peut-il répondre de cette
injonction ? Trois oppositions des synoptiques peuvent éclairer des
stratégies de service politique. D’abord, ‘on ne peut servir Dieu et
l’Argent’ (Mt 6,24). Or, l’argent est un mécanisme de
liberté élémentaire, permet à chaque famille de choisir ce que, dans les
limites de son budget, elle préfère pour sa reproduction. Ce n’est pas son
abolition (ni du capital) que les textes évangéliques proposent, mais qu’il ne
sorte pas de son rôle dans les échanges quotidiens et ne devienne un fétiche
d’enrichissement asservissant son propriétaire, le
rendant incapable de servir ses frères humains. Pour ce qui est de l’opposition
Dieu / César (Mc 12,13-7), carrément politique, car
la discussion sur l’impôt dû à César est un piège en vue de l’accusation devant
Pilate, elle correspond au service politique des ‘ministres’,
sachant que ceux qui sont aux échelons les plus bas sont ceux qui doivent être
le mieux servis par la politique. Enfin, l’opposition Dieu des vivants /
Dieu des morts, dans le contexte celui des riches liés
au Temple des grands prêtres, on peut estimer que tout discours de vérité
(« pensée unique », toute forme d’orthodoxie) et de séduction (les stars) relève de cette divinité mortelle, en tant qu’opium du peuple, comme disait
Marx. Le service politique sera ici la libération des yeux, des mains et des
pieds d’un chacun, à l’image des guérisons thaumaturgiques de Jésus, de rendre
les gens autonomes et solidaires.
14. Sur le
Créateur
Ce texte a été
écrit par une approche historique et textuelle des textes concernant l’histoire
du christianisme, concernant donc des gens qui croyaient en un Créateur et espéraient
leur résurrection à la fin du monde, plus tard que leur âme vienne à la
présence du Créateur après leur mort. Mais ces croyances n’ont jamais été
invoquées dans l’argumentation, cette mythologie d’une vie éternelle au ciel
après une vie juste sur terre n’étant plus la nôtre, les croyants devraient
s’en rendre compte, eux aussi. La création est un anthropomorphisme de
l’ouvrier humain nécessaire à la compréhension de l’étonnante fécondité des
vivants, dont l’œuvre est l’ensemble du ciel et de la terre, qui est
toujours déjà là avant les humains et toutes les choses, vivantes ou pas. Créateur
d’étants, comme disaient les philosophes, des choses que l’on voit ou
touche ; comment le penser en tant que créateur de cellules et de leurs
molécules complexes et fragiles, demandant un métabolisme incessant pour se
refaire, ou bien des atomes et de leurs particules fugaces, toute cette
population que Bohr appelait « des êtres de laboratoire » ?
D’autre part, ce déplacement anthropomorphique dépend d’une conception de
causalité de type substantialiste et trouve son effet spécifique dans ce que
l’on appelle aujourd’hui des événements, dont l’immotivation demanderait une détermination ‘métaphysique’. Or,
selon Derrida, l’enjeu de tout événement – à la limite tout est événement, la
routine en étant le degré zéro – est « l’unité du hasard et de la
nécessité dans un calcul sans fin » (1972a, p. 7), ce qu’une voiture peut
illustrer, fabriquée en des laboratoires physiques et chimiques selon des règles rigoureuses en vue de poursuivre des trajets
aléatoires. De même tout animal dans l’aléatoire de la
scène écologique, sa biochimie fort bien réglée le poussant à la poursuite
d’autre vivant à manger, devant fuir de l’être à son tour. Il n’est aucunement
relevant qu’un biologiste soit ou pas croyant, c’est de la biologie qu’il fait.
En bref, plus besoin d’une grande Cause dans ce jeu de hasard et nécessité. Ajoutons :
comment penser la bonté d’un Créateur des vivants qui a posé comme règle de la
vie animale (cycle biologique de reproduction du carbone, élément nécessaire de
toute molécule des vivants : photosynthèse des plantes, herbivores qui les
mangent et sont mangés par des carnivores.) que la survie du lion dépende de la
mort de la gazelle et celle-ci de la faim du lion, où l’emporte le plus fort ou
le plus rusé ? C’est de cette loi de la jungle
(que Gn 1 ignore, § 6n.) que les
sociétés humaines ont hérité leur violence tissée de force et de ruse, ladite
question du mal.
15.
Issu d’une vieille passion, tout dans ce texte est neuf, ma parole.
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